Cahier de doléances de la paroisse de Marquette en Ostrevant

Publié le par Adam de Beaudegnies

 

Représentations et doléances de la paroisse de Marquette en Ostrevent, publié dans les Archives parlementaires de 1787 à 1860. Consultable sur Google Livres ICI

 

 

 

 

 

Représentations et doléances
de la paroisse de Marquette en Ostrevent

 

1 – La dîme n'ayant été accordée aux ministres de l’Église que pour en recevoir gratuitement que le spirituel, il est bien dur, pour une pauvre famille qui perd son soutien et toute sa ressource, souvent après avoir supporté les frais d'une maladie longue et dispendieuse, d'être encore obligé de se dépouiller d'une partie de son nécessaire pour rendre les devoirs à ce qu'elle avait de plus cher ; d'où il s'ensuit que les curés, avec une modique portion alimentaire, étant obligés pour fournir à leur existence de recevoir un certain salaire, passent dans l'esprit des peuples pour des exacteurs impitoyables, et les représentants d'un Dieu de miséricorde passent pour de cruels tyrans, tandis que les gros décimateurs jouissent paisiblement de la sueur de l'indigent. Le Roi devrait donc être supplié d'obliger les pourvus de dimes de payer annuellement aux curés vingt-cinq sous par chaque communiant jusqu'au nombre de mille, et au-dessus de ce nombre dix sous seulement, parce que quoique la besogne fut alors immense, cette rétribution, avec une honnête portion alimentaire qui pourrait être portée à 1000 florins pour les pays bas où les denrées sont beaucoup plus chères, suffirait à un pasteur pour vivre selon son état. Cela posé, les curés administreraient gratuitement les sacrements, même celui du mariage ; ils inhumeraient également, chanteraient une messe d'enterrement et feraient les cérémonies prescrites par le rituel, sans rétribution.

 

2 – En conséquence de l'article précédent, le Roi devrait être supplié de décharger les peuples de toute reconstruction et entretien d'édifices, et dans le cas qu'il fallût reconstruire une église qui aurait fabrique, on pourrait accorder aux décimateurs les revenus des biens de l’Église pendant dix ans au moins en cas qu'ils fussent considérables, sauf à eux à payer pendant ce temps pain, vin, luminaire et les autres choses nécessaires à la célébration des terribles mystères.

 

3 – Les pauvres villageois, plus accoutumés à la culture d'un champ qu'à l'intrigue des procès, laquelle réunit nécessairement des coutumes et formalités différentes, le Roi serait supplié d'introduire un code de loi uniforme pour tout le royaume, les enfants d'un même père devant également partager sa bénigne influence ; ou au moins il serait supplié d'établir une réforme dans la justice afin que la forme ne l'emportât plus sur le fond, comme cela arrive souvent, et qu'un procès ne fût pas au même tribunal plus de trois mois ; ces dispositions empêcheraient la ruine d’honnêtes familles.

 

4 – Le Roi serait supplié de ne point introduire l'impôt territorial en nature comme tendant à décourager l'agriculture, et que l'on voit dans les pays où il y a terrage, le peuple ne voyant plus d'un bon œil l'effet de ses sueurs passer en mains étrangères, car dans ce cas il est privé d'un quart de sa dépouille : huit gerbes pour la dîme, huit pour le terrage et huit pour l'ouvrier ; on pourrait donc, pour suppléer à cette taxe, établir à la rasière une imposition fixe, partager les terres en trois classes, afin qu'une terre d'un meilleur rapport et d'une culture moins dispendieuse qu'une terre qui ne rapporte qu'à force de dépense et d'engrais. Un système contraire décourage le cultivateur et porte préjudice au bien de l’État, en faisant négliger la culture des petites terres ; en conséquence, les impositions ne devraient être faites ni à raison de la population, ni à raison de la grandeur des territoires, mais bien à raison de la bonté du sol ; et pour éviter toute fraude, on aurait recours au mesurage.

 

5 – Le monarque serait supplier d'introduire partout des assemblées provinciales ; cette forme de gouvernement décharge beaucoup les peuples et enrichit l’État, puisque, moyennant huit deniers de la livre, l'argent est porté dans les coffres au Roi, ce qui a lieu en Picardie, au lieu que dans un pays d’État, huit sous suffisent à peine. La raison qu'apportent les partisans des États pour l'appui de leurs opinions, c'est que les membres de cette administration étant en plus petit nombre et par conséquent plus unis (vis unita fortior) sont plus capables de résister à la cupidité du Roi et de ses ministres ; mais a-t-on quelque chose de semblable à craindre de la part d'un monarque français ? Ils apportent encore pour raison que le gouvernement des États est plus paisible ; cela est vrai, parce que les grands savent captiver les petits, qui ont toujours des intérêts à ménager, ce qui ne peut arriver quand le nombre du tiers-état est grand. D'ailleurs, le tiers-état est souvent choisi par la noblesse, et ceux qui le composent sont, pour l’ordinaire, créatures des grands, comme on peut le voir dans les États du Hainaut.

 

6 – L'agriculture devant particulièrement fixer l'attention du souverain, il serait supplié de ne pas permettre que ce qui est donné en décime par le peuple d'une paroisse passât en vertu d'un bail dans une autre paroisse. Cette pratique prive le terroir d'une partie des fruits qui doivent lui être rendus, tout le monde sachant que les terres ne peuvent rapporter sans engrais.

 

7 – Le villageois étant occupé de la culture de la terre et de la gestion des affaires qui demandent sa présence, payant d'ailleurs avec exactitude les charges de l’État, le roi serait supplier de l'exempter de corvées et autres démarches qui gênent l'agriculture par une absence forcée, ou au moins de l'indemniser, comme c'était de coutume dans la paroisse soussignée lorsqu'elle était sous l'administration des États de Flandres.

 

8 – L'état-major de la ville de Bouchain ayant soi-disant droit à une cinquantaine de voitures pour se procurer son chauffage, met encore des entraves à l'agriculture, ou s'il se contente d'une certaine somme comme il fait, il impose une nouvelle charge à un peuple zélé à la vérité, pour soutenir les charges de l’État, mais qui supporte avec peine une imposition de cette nature qu'ignore peut-être le monarque bienfaisant qui nous gouverne.

 

10 – Les seigneurs de la province du Hainaut et abbayes, qui jouissent par eux mêmes des terres et bois, devraient payer toutes les impositions du Roi, comme le tiers-état de la paroisse où les dites terres et bois sont situés et de leur quantité de rasières. Sa Majesté devrait donc être suppliée d'obliger lesdits seigneurs et abbayes qui jouissent eux-mêmes des terres et bois soient imposés dans les rôles des impositions de ladite paroisse comme le tiers-état.

 

11 – Lesdits seigneurs et abbayes, dans les paroisses où ils ont terres à clochers et seigneuries, font des plantis le long des chemins vicomtiers et chemins de traverse ; quand ces arbres commencent à grossir, font des intérêts considérables jusqu'à ce que lesdits arbres soient parvenus à maturité ; quoique le bois est très-cher, le pris de la vente de ces arbres ne suffirait pas pour indemniser l'intérêt que lesdits arbres ont causés aux dépouilles de terres marchissantes lesdits chemins. Sa Majesté devrait donc être suppliée d'ordonner auxdits seigneurs et abbayes de payer et indemniser les propriétaires et occupeurs des intérêts causés par lesdits plantis.

 

12 – Les villageois de la province de Hainaut, voulant tuer une bête, soit vache, veau, porc ou brebis, sont obligés d'aller chercher un permis au bureau du domaine de Roi à Bouchain, pour tuer, payer sept sous et demi pour un veau et des autres à proportion, de plus ; on fait payer les pieds de bêtes ou taille de bêtes, feux et cheminées, chose qui n'est pas d'usage dans les autres provinces d'Artois et de Flandre.

 

13 – Le Roi serait supplié d'accorder à chaque communauté le droit de nommer les membres de la magistrature ou de l'échevinage, car étant les représentants et les protecteurs du peuple, il n'est pas juste qu'ils soient choisis par un seigneur, dont l'intérêt n'est pas toujours celui de la paroisse, du moins les seigneurs devraient nommer la moitié et les communauté l'autre moitié.

 

14 – Les peuples tels que celui de la paroisse soussignée, gênés par l'obligation de dépendre d'une province pour l'imposition et d'une autre pour la juridiction, le Roi serait supplié d'ôter ces distinctions.

 

15 – La paroisse soussignée se plaint que le seigneur du lieu fait payer le droit de banalité, dit le droit de four banal, qui est porté à un sou de France à chaque personne au-dessus de l'âge de quatorze ans pour les habitants, et droit d'avoir un four chez eux pour y cuire leur pain. Le Roi devrait donc être supplié de supprimer ce droit.

 

16 – Enfin les pauvres villageois de cette province se plaignent de la misère et de l'indigence ; que les monastères tant d'hommes que de filles jouissent de la plus grande partie des biens du royaume et vivent dans l'abondance de toutes choses pendant que lesdits villageois souffrent dans lesdits lieux où les biens sont situés ; ils ont des fermiers qui occupent 3 à 400 rasières de terre et même plus ; ces fermiers ne veulent pas vendre leur grain aux pauvres pour leur argent, ce qui cause encore une plus grande misère dans les années de disette telle que celle-ci. Le Roi devrait donc ordonner auxdits monastères que les exploitations de leur fermiers ne seraient plus que de 100 rasières de terre ; cela suffirait à un fermier pour lui procurer la vie et élever une honnête famille. Lesdits villageois qui achètent des sels pour débiter au peuple, ce sel a payé les droits des fermes à Douai, et cependant le bureau de la ville de Bouchain fait encore payer 22 patars et demi à la rasière ; cela fait double emploi.

 

Ainsi fait, après avoir convoqué la communauté dudit Marquette au son de la cloche, en la manière accoutumée et lieu ordinaire, le 22 mars 1789.

 

Signé à l'original :

 

  • Lavallart, greffier ;
  • Nicolas-Augustin Riboncourt,
  • L.-J. Dufour,
  • Etienne-Joseph Leclerc,
  • Barthelemi Cachera,
  • V. Lavallart,
  • Jacques-Antoine Cachera,
  • François-Vincent Rocquet,
  • Nicolas-Joseph Marichalle,
  • Michel-Paul Caillier,
  • Philippe-Charles Bernard,
  • N. Delcambre,
  • Philippe-Antoine Delcambre,
  • Constant Lesner,
  • Piette,
  • Jean-François Lacroix,
  • Jean-Antoine Mieux,
  • Cyprien Dubois,
  • André-François Marichalle,
  • Thomas-Eustache Lefebvre,
  • Antoine-Albert Ségard,
  • Jean-Thomas Hérogué,
  • Jean-Antoine Delforge,
  • Jean-Louis Cerignolle,
  • J.-M. D'Alliencourt,
  • A. Rousseau,
  • P.-J. Delcambre,
  • J.-P. Descamps,
  • J.-J. Petit,
  • Louis-Joseph Cachers,
  • A. Ledieu,
  • C.-J. Mieux,
  • Nicolas Mieux,
  • Jacques Corsaux,
  • Antoine Lefebvre.

Publié dans Révolution

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